ÉDITIONS MIDI-PYRÉNÉENNES MIDI-PYRÉNÉES PATRIMOINE

66. Quelle place pour la statuaire publique ?

10,00

Eté 2023

112 pages

Quelques pages à feuilleter via la liseuse

Qté

La statuaire publique, parcelles de mémoire

Regarde-t-on les monuments sculptés dans l'espace public ? On peut en douter quand on interroge les passants, pour qui les bronzes et les marbres sont seulement des repères commodes.

Une cécité surprenante. Le XIXe siècle a peuplé les places, les jardins ou les boulevards de monuments à la gloire de grands hommes, tressant art, célébration, mémoire collective et pédagogie. Les sculpteurs ont connu alors un âge d'or : du monument équestre au buste de notable cantonal, les chantiers étaient nombreux. Jusqu'au moment de rupture avec le refus du Balzac de Rodin où entre en crise le modèle du monument traditionnel, le portrait réaliste du héros juché sur un haut socle gardé par des grilles.

Dès lors les monuments se sont faits moins nombreux (à l'exception de la célébration des guerriers morts). La déprise a été telle qu’on ne savait plus concevoir un hommage. À Toulouse, une stèle à la mémoire du général de Gaulle est érigée en 1990 dans le jardin du Capitole : un roc de granite, un médaillon, une célébration que beaucoup jugent digne d’un cimetière de campagne… Passé cette absence, le retour des effigies de bronze est vif en ce début du XXIe siècle. Les grands hommes sont descendus de leur piédestal, mais les femmes sont toujours absentes. 7,31 % des statufiés sont des femmes (et près de la moitié concerne Jeanne d'Arc). C'est dire que la mémoire collective est très inégalitaire. Certes, des femmes plus ou moins dévêtues étaient bien des figures monumentales, mais leurs charmes étaient au service d'allégories, d'idées généreuses… pas du féminisme.

Porteuses de valeurs politiques, enjeux de mémoire, les statues peuvent être victimes d'iconoclasme. La Révolution a jeté à bas les statues royales, Vichy a fait fondre tous les bronzes rappelant des figures de progrès. La sensibilité d'aujourd'hui a du mal avec certains chefs militaires et des colonisateurs. Nombre d'effigies sont promises au musée. Il n'y a pas d'éternité du bronze. Mais une société ne peut vivre sans mémoire.

Bernard Seiden