50. Les deux Carcassonne
9,50€
Automne 2017
Connaître et faire connaître à tous âges
En 1996, l'Unesco classait le canal du Midi au patrimoine mondial ; en 1997, c'était le tour de la Cité de Carcassonne. La convention internationale reconnaît que « certains biens du patrimoine culturel et naturel présentent un intérêt exceptionnel qui nécessite leur préservation en tant qu'éléments du patrimoine de l'humanité tout entière ». À l'évidence, Carcassonne est de ceux-là.
Les experts de l'Unesco sont toutefois sensibles aux données de la connaissance et au regard contemporain. Carcassonne a été classé, non comme un ensemble médiéval (ce thème essuya un premier refus), mais comme un exemple remarquable de restauration d'une architecture militaire au XIXe siècle par un architecte de génie. Les touristes seraient bien étonnés de cette subtilité, tant est forte leur impression en passant les portes de la Cité d'entrer dans le Moyen Âge, en croisant par ailleurs de preux chevaliers au service du commerce local. Si l'on ne veut pas d'un avatar du parc d'attractions, osons rappeler que la séduction exercée par le patrimoine doit reposer sur la connaissance. Si la légende doit être convoquée, qu'elle le soit comme légende et élément de rêve et non comme travestissement de l'histoire.
C'est notre travail, au Patrimoine, histoire, culture et création d'Occitanie, de livrer à nos lecteurs la connaissance qui se fait avec les enseignants-chercheurs de l'université, les conservateurs du patrimoine de l'Inventaire général (compétence dévolue aux Régions), des musées, les chercheurs indépendants… Rappelons que notre numéro 25, Albi, la cité épiscopale, offrait un résumé du dossier scientifique pour l'Unesco coordonné par Jean-Louis Biget. Et que le numéro 34 étudiait déjà le patrimoine mondial de l’Occitanie.
Faut-il fêter le numéro 50 de notre revue, soit treize années d'une belle aventure ? On peut être fier du chemin accompli, des progrès réalisés tout en espérant pouvoir faire encore mieux. Alors, donnons-nous rendez-vous pour le numéro 80, vingt ans, le bel âge.
Bernard Seiden
LES ACTUALITÉS
6 VOIR Favier
10 LES NOMINATIONS
12 – 15 LES BRÈVES
16 – 21 ATELIERS ET OBJETS – Dominique Crébassol
Facteur d'instruments à cordes frottées, la clé de l'harmonie
Un campus pour les métiers d'art
Corne en poudre
22 – 27 ARCHITECTURE – Dominique Crébassol
Après le resto U, un restaurant-fondation d'art
Le Cap d'Agde, du port au cirque
28 – 34 DIX EXPOSITIONS
Arles. Réattu, peintre de la Révolution
Sète. Des manuscrits enluminés d'aujourd'hui
Valence-sur-Baïse. Dans les sierras avec Plossu
Nîmes. La dernière avant-garde du XXe siècle
Toulouse. Hessie, c'est qui ?
Montpellier. Rodin et les plâtres antiques
Lattes. Les pelleteuses de l'Histoire
Rodez. Calder, joyeux et ingénieux
Toulouse. La vie en songe de Stéphane Tidet
Carcassonne. Les ténèbres des lumières
36 – 38 AGEND'ART
40 – 41 LIVRES
LA CONNAISSANCE
44 – 118 DOSSIER LES DEUX CARCASSONNE, coordonné par Louis Peyrusse
46 – 57 La Cité, une encyclopédie de la défense, par Henri Pradalier
58 – 65 La cathédrale Saint-Nazaire, le Nord greffé sur le Midi, par Henri Pradalier
66 – 73 Le décor « français » de la cathédrale, par Michèle Pradalier-Schlumberger
74 – 77 Les restaurations de Viollet-le-Duc, science et décor, par Louis Peyrusse
78 – 85 Carcassonne, vues d'hier
86 – 89 Saint-Gimer, un modèle sans descendance, par Jean Nayrolles
90 – 95 La seconde Carcassonne ou ville basse, par Dominique Baudreu, Fabienne Calvayrac
96 – 99 La prison de l'Inquisition, monument tombé dans l'oubli, par Dominique Baudreu, Fabienne Calvayrac
100 – 103 Saint-Michel, une nouvelle cathédrale, par Louis Peyrusse
104 – 107 Saint-Vincent, une église griffée par les siècles, par Louis Peyrusse
108 – 113 Carcassonne, ville industrielle au Xviiie siècle, par Rémy Cazals
114 – 118 Une ville Janus, par Jean-Pierre Piniès
120 – 144 RECHERCHE
120 – 127 TOULOUSE ET LA NOUVELLE CARTE ARCHÉOLOGIQUE DE LA GAULE, par Jean-Marie Pailler
128 – 137 DÉCOUVRIR BÉDARIEUX L'INDUSTRIEUSE, par Lisa Caliste, Jean-Luc Pastre
138 – 144 ESTAING, LÉGENDAIRE ET MÉCONNU, par Roland Chabbert, ChristianMullier
Le patrimoine le plus célèbre peut être paradoxalement mal connu. Des visiteurs séduits par le mythe de Dame Carcas ou par des slogans publicitaires (L'Aude pays cathare) croient arriver dans une forteresse très ancienne. Certes la Cité a été habitée et défendue très tôt, mais elle n'offre rien d'immédiatement lisible avant le XIIIe siècle, avec l'art des ingénieurs royaux, après la croisade contre les Albigeois. L'actuel château n'est plus la résidence des Trencavel ! On a ici affaire à un art d'importation. Le choeur et le transept de Saint-Nazaire sont inspirés par la Sainte-Chapelle de Saint Louis. Les ingénieurs militaires reprennentdes formules septentrionales pour la double enceinte et le château. Il n'en était sans doute pas de même pour les maisons. Nous ne pouvons plus en juger : les constructions d'aujourd'hui gardent des murs médiévaux, invisibles sous un agressif néomédiéval. Le génie restaurateur du XIXe siècle a donné à la silhouette de la Cité une extrême puissance. Viollet-le-Duc a intuitivement deviné qu'à la poliorcétique (cette science qui analyse les systèmes d'attaque et de défense), il fallait joindre du symbolique. Notons que la dimension symbolique existait au Moyen Âge : les historiens se passionnent aujourd'hui pour les tours inutiles, emblèmes des droits du seigneur… Il existe une autre ville médiévale, construite au XIIIe siècle sur la rive gauche de l'Aude, selon un plan régulier ; elle est trop oubliée des visiteurs. Elle concentre les églises médiévales, les hôtels particuliers, les bâtiments publics, les équipements urbains (halle, fontaine…) dans lesquels on suit le fil des époques de prospérité. Et c'est là que nous retrouvons le Midi. Regardons Saint-Michel et Saint-Vincent, les deux églises de la ville basse, en opposition à la cage de verre de Saint-Nazaire. Une nef très large éclairée par une abside polygonale, des contreforts massifs, des chapelles basses composent un espace monumental qu'on a défini comme le gothique méridional, des « églises de la parole » où dominent les valeurs murales. Au centre de la place aux Herbes, une fontaine célèbre l'achèvement en 1744 d'un programme d'adduction d'eau. La statue de Neptune et les reliefs, en marbre de Carrare, sont dus à des sculpteurs italiens, les Baratta, père et fils. Autant de signes de méridionalité. Il y a vingt ans, la Cité était inscrite au patrimoine mondial. Il est dommage que l'écureuil Unesco, qui entend conserver pour les générations futures, n'ait choisi qu'une des deux noisettes carcassonnaises. Louis Peyrusse